Merleau-Ponty à De Waelhens (11 & 12 novembre 1948)

Dans ces lettres de Novembre 1948 classées E25 et E25 (bis), Merleau-Ponty discute des débuts de la collection « Bibliothèque de Philosophie » chez Gallimard (qui devait au départ s’intituler « Philosophies »), fondée par Jean-Paul Sartre et par lui-même. La traduction par Ricoeur du premier tome des Idées directrices de Husserl sera bien le premier volume publié, mais la traduction française (par G. Granel) de la Crise ne viendra que bien plus tard (en 1976). Elle sera précédée de la traduction française (par E. Burckhardt et J. Kuntz) de La structure de l’organisme de Kurt Goldstein (1951) et par la traduction française du Kantbuch (1953) par De Waelhens et Biemel. Ces derniers accèderont à la requête de Merleau-Ponty et rédigeront une introduction magistrale qui passe aujourd’hui encore pour l’un des commentaires les plus clairs et les plus pénétrants du texte concerné. 


11 novembre 1948

20 rue Jacob VIe

Cher ami,

Juste un mot, en hâte, pour vous remercier de votre lettre, de tout ce qu’elle a d’aimable, et aussi du souci que vous prenez très gentiment de la collection « Philosophies… ». Oui, ce que vous dites est exact , il ne faut pas que l’éditeur soit tout de suite rebuté par un ouvrage de vente trop lente. Aussi pensons-nous qu’il ne faut pas commencer le Kantbuch. Nous commencerions par Ideen I (de Ricoeur), nous aimerions publier aussitôt après la Krisis, der Aufbau des Organismus, et, comme quatrième ou cinquième volume le Kantbuch. Je crois que les trois premiers ouvrages rassureraient Gallimard. Même ainsi, il faut dès maintenant mettre à l’étude la publication du Kantbuch. Si donc vous pouviez redemander à Nauwelaerts votre liberté, voudriez-vous, je vous prie, me communiquer votre version du Kantbuch ? Vous me disiez en même temps que les droits de traduction ont été donnés à Nauwelaerts par l’éditeur allemand.

Quant à votre propres initiales sur La Structure du Comportement, si je vous les ai demandées, c’est que je les trouve aussi bonnes, fortes et justes que possible ; croyez-le bien, je vous en prie. Je suis bien heureux que vous me les envoyiez — vous me faites plaisir, et vous me rendez un bien grand service : je ne puis pas sans outrecuidance marquer moi-même le lien de ce premier livre avec le second, comme les différences avec Sartre. Je vous dis donc merci de tout coeur. Pouvez-vous, je vous prie, m’en adresser un double ? La réimpression du livre est décidée depuis longtemps, et l’éditeur n’attend que mes corrections pour le faire. J’irai le voir aussitôt que j’aurai votre lettre.

Encore merci pour tant de choses. Je viens d’écrire au P. Van Breda, et (conditionnellement) à Ricoeur, au sujet de la traduction de la Krisis.

Je vous prie de présentent mes respectueux hommages à Madame de Waelhens et d’accepter l’expression de toute ma vive amitié.

Maurice Merleau-Ponty


12 novembre 1948

Cher ami,

Votre lettre me parvient au moment où j’allais mettre à la poste une réponse à votre précédente. J’y ajoute donc ce double post-scriptum.

  1. En ce qui concerne l’article, je comprends vos raisons et que je m’y rends. Il faut que le texte paraisse d’un seul tenant. Sartre consulté, voici donc la solution que je vous propose. Nous publions l’ensemble d’un seul coup, tel que vous me l’avez donné. Et, pour décharger la première partie de la revue (trop souvent macrocéphale) nous plaçons votre texte comme « témoignage » aussi tôt après les articles de tête. (Ceci aurait d’ailleurs l’avantage de présenter avec un indice de subjectivité votre critique du caractère belge. Nous éviterions peut-être quelques désabonnements et vous quelques rancunes. Or il ne faut craindre ni les désabonnements ni les rancunes, mais il ne faut pas les chercher).
  2. Je pense encore à ce que vous me dites du Kantbuch. Et lisant ce même la préface parfaite, – profonde, vigoureuse, sobre, – que vous avez écrite pour Wesen der Wahrheit, je me dis que la solution serait là : que vous vouliez bien faire une préface (non kantienne, mais heideggerienne, un commentaire interne) pour le Kantbuch, sans vous astreindre, naturellement, à être aussi précis et complet que dans le commentaire de W. der W. – Si vous consentiez à faire ce nouveau travail, il n’y aurait plus de problème.

Je me hâte de mettre ceci à la poste et vous serre bien amicalement la main.

Maurice Merleau-Ponty


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