Van Breda, le sport et la réduction

La contribution de Van Breda aux études phénoménologiques est un fait indiscutable. Par le sauvetage et la mise en valeur du Nachlass husserlien et, dans une moindre mesure sans doute, par ses textes consacrés à Husserl notamment, il a marqué de son empreinte l’histoire de la phénoménologie. On oublie toutefois un peu vite que Van Breda ne s’est pas intéressé uniquement à Husserl et au destin de son oeuvre. Il se passionnait également pour la philosophie médiévale, la philosophie de la culture, la philosophie morale, la philosophie de la personne — et il les a maintes fois enseignées. Son « aventure husserlienne » commence en 1938 quand, sur le conseil de Joseph Dopp, il vint à Fribourg s’enquérir de la possibilité de consulter certains inédits laissés par Husserl qui venait de mourir. En 1942 pourtant, il a encore l’esprit assez libre pour publier, dans le premier fascicule d’une revue étudiante titrée Olympia, un petit texte intitulé : « L’éducation physique et l’éducation morale« .

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La question qu’il y pose est la suivante : « L’éducation physique et le sport, considérés en eux-mêmes et en leur forme systématisée, tels qu’on les pratique de nos jours, sont-ils, oui ou non, un facteur édifiant et utile à la formation morale de la personnalité entière ? » (p. 19). La réponse sera positive : parce qu’une « pratique des sports, menée et dirigée, exige en tout premier lieu l’empire de soi-même et la discipline personnelle. Rester fidèle, durant une partie de tennis, aux règles imposées ou suivre sans défaillance un cours progressif de gymnastique, sont des choses difficiles à réaliser pour l’homme ordinaire (…) De façon certaine quelque chose de l’attitude disciplinée, adoptée délibérement et régulièrement (…) s’infiltrera dans le caractère tout entier » (p. 20) ; parce que « l’éducation physique et le sport (…) se pratiquent d’après des règles sévères » (p. 20) ; enfin parce que « le sport et l’éducation physique, bien compris, nous parlent de sobriété et de sacrifice », d’une certaine ascèse (p. 20).

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Certes, l’éducation physique et le sport ne font pas ici l’objet d’une analyse phénoménologique en bonne et due forme, mais comment ne pas penser que le sportif partage en un certain sens les qualités du phénoménologue (ou vice versa). Peut-être n’est-il pas exagéré de dire que si la réduction phénoménologique était une pratique corporelle (ce que d’aucuns se sont risqués à avancer, avec force nuance toutefois, cf. N. Depraz), elle s’incarnerait dans l’activité sportive telle qu’en parle Van Breda. Si ce n’est pas ce que dit ici « notre sympathique <Père Herman> », celui qui définit ailleurs la réduction phénoménologique comme un « effort soutenu » (« Note sur réduction et authenticité d’après Husserl », in Phénoménologie et Existence, Paris, Armand Colin, 1953, p. 8) aurait peut-être donné quelque crédit à ce rapprochement périlleux !

Vom Geheimnis des Glockenturms (VF)

Le CEP possède un exemplaire du second numéro de la revue éphémère (neuf numéros) Port-des-Singes, fondée par le poète Pierre-Albert Jourdan en 1974, avec le concours de l’écrivain Roger Munier, disciple et ami de Heidegger.

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Ce second numéro contient une traduction française passée inaperçue d’un petit texte bien connu de Heidegger intitulé « Vom Geheimnis des Glockenturms », rédigé en 1954 (publié une première fois en 1969, puis repris en GA 13, pp. 113-116). Cette traduction autorisée a été réalisée par Henri-Xavier Mongis, ancien participant aux Séminaires de Zähringen avec Jean Beaufret, Jacques Taminiaux, François Fédier et François Vezin.

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Les historiens et biographes ont toujours eu tendance à verser ce texte au dossier de la Heimat (voir encore récemment G. Payen, Martin Heidegger. Catholicisme, révolution, nazisme, Paris, Perrin, 2016). Mais Jean Greisch a montré dans Ontologie & temporalité (p. 5) qu’il était possible d’en faire également une lecture philosophique : « Dans ce récit d’enfance, le fils du Sacristain de l’Eglise de Sankt Martin de Messkirch se dépeint manifestement lui-même dans ce qui fut le <monde ambiant> (Umwelt) de son enfance ». On y lit « quelques-uns des motifs déterminants de la pensée heideggérienne : le motif de la <fugue> (…), la mort comme <écrin de l’être>, l’importance accordée à l’expérience temporelle (…) et le phénomène le plus originaire du langage, la grande Voix de l’être qui parle aux humains à travers son pouvoir de rassemblement (…) ».

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Fink, Van Breda & Taminiaux

Fink-LebensbildG. Van Kerckhoven, R. Fink et A. Ossenkop ont publié en 2015, aux éditions Alber, un monumental ouvrage sur la vie et l’oeuvre d’Eugen Fink (1905-1975): Lebensbild des Freiburger Phänomenologen. Après une longue introduction en forme de biographie (p. 13-73), les auteurs « légendent » plus de 1500 documents personnels et philosophiques : photos, diplômes, lettres, manuscrits, tapuscrits, notes, etc. Les relations avec les Archives Husserl y tiennent une bonne place. Le document 942, reproduit ci-dessous, est une lettre de mai 1958 adressée à Fink par le Père Van Breda et Jacques Taminiaux, respectivement Président et Secrétaire de la collection Phaenomenologica. Fink est invité à confirmer sa participation au volume d’hommage à Husserl qui deviendra le n°4 des Phaenomenologica : Edmund Husserl (1859-1959). Recueil commémoratif publié à l’occasion du centenaire de la naissance du philosophe, avec une étude de Fink intitulée « Die Spätphilosophie Husserls in der Freiburger Zeit » (p. 99-115), issue d’une conférence prononcée à Freiburg. Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que Fink fut l’auteur du tout premier numéro des Phaenomenologica paru en 1958 : Sein, Wahrheit, Welt.

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Quid facti & juris ?

Le Centre d’études phénoménologiques (CEP) est un centre de recherche érigé dans le cadre de l’Institut supérieur de philosophie (ISP), par une convention signée le 8 octobre 1973 entre, d’une part,  l’ASBL Husserl-Archief te Leuven qui a son siège près le Hoger Instituut voor Wijsbegeerte (KULeuven), et l’Université catholique de Louvain, d’autre part.

« Le CEP ne se réclame pas d’une orthodoxie ; son souci est l’attention vigilante à la fois à un héritage dont le fameux mot d’ordre husserlien zu den Sachen selbst, aussi diverse qu’en fut très tôt l’écoute, a frappé l’emblème, et aux échos, aux prolongements, aux renouvellements de cet héritage dans la pensée contemporaine. Les grands axes de recherches du CEP sont et restent l’histoire du courant phénoménologique d’une part et les questions actuelles de la phénoménologie, tant méthodologiques, ontologiques, épistémologiques, qu’éthiques ou politiques d’autre part ».

Le premier Directeur-Fondateur du CEP est le Professeur Jacques Taminiaux. Voici ce qu’il écrit dans un texte de 2001, « Les Archives Husserl à Louvain-la-Neuve », paru dans La Gazette des archives de l’UCL (n°4) :

« Cette collaboration avec le Père Van Breda (autour de la collection Phaenomenologica, S.C.) est ce qui me permit lors de la scission de l’ancienne Université de Louvain en deux universités autonomes, suivie du déménagement des francophones, de négocier la création d’un centre dépositaire d’un lot complet de photos des sténogrammes de Husserl et de copies de leur transcription en langue allemande. Cette négociation entamée en février 1969 déboucha après diverses tractations sur un contrat signé en 1973 entre le Husserl Archief te Leuven et l’U.C.L. qui instituait à l’Institut Supérieur de Philosophie un Centre d’Etudes Phénoménologiques jouissant des mêmes droits d’édition que ceux des centres d’Archives Husserl établis au cours de décennies précédentes à l’initiative du Père Van Breda auprès des Universités de Fribourg-en-Brisgau et de Cologne, et mettant à la disposition des chercheurs les manuscrits de Husserl (…) ».

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Jacques Taminiaux
Directeur-Fondateur du Centre d’études phénoménologiques
Professeur émérite à l’Université catholique de Louvain
et au Boston College