Merleau-Ponty à De Waelhens (11 mars 1948)

Dans cette lettre classée E24(2), Merleau-Ponty remercie De Waelhens pour l’envoi de deux ouvrages : sa traduction, avec W. Biemel, de Vom Wesen der Wahrheit de Heidegger : De l’essence de la vérité, parue à Louvain chez Nauwelaerts en 1948 (108 p.) mais achevée dès décembre 1947 comme en témoigne la courte préface des traducteurs, et le livre d’Albert Michotte, professeur de psychologie expérimentale à Louvain et de renommée mondiale, intitulé La perception de la causalité (Editions de l’Institut supérieur de philosophie de Louvain, Louvain, 1948, « Etudes de psychologie », vol. VIII, 296 p.). Merleau-Ponty decouvre Michotte assez tard et s’attardera par la suite longuement sur son oeuvre dans ses cours à la Sorbonne puis au Collège de France (voir notamment L. Embree, « The Impression of Causality: Merleau-Ponty on Michotte », Chiasmi, 11, 2009, p. 311-319).

Cette lettre revient aussi sur le débat avec Löwith entamé dans les Temps Modernes récemment : le philosophe allemand n’a pas apprécié  que De Waelhens s’oppose frontalement à son étude et tienne à dissocier la pensée de Heidegger de son engagement politique. Impossible, insiste Löwith dans la réponse évoquée par cette lettre, qui paraîtra en août 1948, dans le n°35 des Temps Modernes, sous le titre « Réponse à M. De Waelhens » (p. 370-373). De Waelhens saisira l’occasion que lui offre ici Merleau-Ponty de répondre à cette réponse dans le même numéro, dans un texte intitulé « Heidegger et le nazisme. Réponse à une réponse » (p. 374-377) — et enfoncera le clou : « on ne peut déduire une politique déterminée d’une philosophie, bien que certaines politiques, en raison de la nature des rapports interhumains qu’elles mettent en œuvre, doivent être absolument condamnées au nom de certaines philosophies ».


Jeudi 11 <mars 1948>

Cher ami,

Comment vous remercier et du petit livre traduit de Heidegger, et du beau volume de Michotte (je suis en train de le lire) que vous avez bien voulu me faire adresser ? Je suis absolument confus et une fois de plus vous remercie de tout coeur.

Je vous transmets une réponse de Loewith à votre article sur lui. Elle me semblait conduire à une discussion heideggérienne un peu trop technique pour les Temps Modernes. Mais E. Weil, qui me l’a transmise, me fait observer que Loewith a une sorte de droit de réponse. Je vous envoie donc cette réponse en vous priant, si vous souhaitez y répondre à votre tour, de bien vouloir le faire assez tôt pour que les deux textes puissent paraître avant les vacances (…) La revue ne pourra leur donner qu’une petite place (…) Mais il y a quelque chose à dire à Loewith et, si vous voulez le dire, nous en serions enchantés.

Puis-je même vous proposer, si vous voyez quelqu’un autour de vous qui accepte de le faire, de faire mettre en français ces quelques pages de Loewith ? Vous savez qu’il n’est pas content de la traduction que nous avons faite de son texte, et je ne vois personne ici, pour le moment, qui puisse s’en charger. La rétribution serait celle d’une page originale.

J’espère vous revoir bientôt, je vous redis le souvenir que nous avons gardé de votre passage, et, en vous chargeant de présenter mes respectueux hommages à Madame de Waelhens, je vous prie de croire à ma très vive amitié.

Maurice Merleau-Ponty


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Albert Michotte

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